Les Pêcheurs Migrants Exploitent les Ressources Halieutiques de Lagos

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Les temps sont durs et les pêcheurs locaux de Lagos traversent une période difficile. Et les pêcheurs migrants y contribuent pour beaucoup.

Par Ruth Akinwunmi-King

Les pêcheurs migrants en provenance de pays d’Afrique viennent pêcher dans les eaux de Lagos, ajoutant ainsi aux malheurs des pêcheurs locaux, d’une part, et du gouvernement de l’État de Lagos, d’autre part. Les pêcheurs sont confrontés à l’épuisement des ressources tandis que l’État de Lagos se voit perdre les impôts qui auraient été perçus auprès des pêcheurs locaux. On estime que l’État de Lagos enregistre une perte de plus d’un milliard de nairas [soit 2.6 millions de dollars américains, ndlt]comme un manque à gagner fiscal. Les pêcheurs migrants pêchent dans les eaux de Lagos mais vendent le poisson et paient des impôts dans leur pays d’origine sans en faire bénéficier l’État de Lagos.

L’État de Lagos, dont la population est estimée à 22 millions d’habitants, a une demande en poisson de 374 000 tonnes métriques, mais sa production locale de poisson ne peut atteindre que 155 262 tonnes métriques par an.

Temi Turo, membre de la fédération des pêcheurs de l’État de Lagos, a déclaré qu’ils ont adressé de nombreuses correspondances au gouvernement de l’État et au gouvernement fédéral sur la nécessité de mettre fin aux activités illicites des étrangers qui viennent avec des chalutiers et pêchent des juvéniles dans la lagune de Lagos.

Les activités de pêche illicites dans les eaux de Lagos ne sont acceptées nulle part dans le monde, au Gabon, au Ghana, au Maroc et dans d’autres pays d’Afrique, s’ils autorisent la continuation de ces activités, Lagos perdra tous ses poissons“, a déclaré M. Turo.

Certains pêcheurs ont dû quitter leur emploi. Vers les années 1990, la moitié des poissons consommés dans l’État de Lagos provenaient de la lagune de Lagos, ce qui affecte l’économie de l’État, nous voulons que cela cesse et nous faisons pression pour que les directives volontaires soient domestiquées afin d’aider également à lutter contre l’immigration clandestine et la pêche illicite“.

Le président des pêcheurs de l’État de Lagos, Hon. Abdul Rafiu Atobajeun, a affirmé que de nombreux pêcheurs ont changé de localité pour tenter de faire de bonnes prises en raison des activités des pêcheurs migrants des pays voisins. “Nous sommes confrontés à une pénurie de poissons car le dragage effectué par le groupe Dangote a causé beaucoup de dégâts dans les eaux et les pêcheurs migrants côtiers, principalement du Bénin et du Togo, viennent pour embarquer nos poissons (alevins)“.

Hon. Atobajeun affirme que l’eau de Lagos contient les meilleurs poissons, mais le dragage de la zone de libre-échange de Lekki a causé une pollution et une raréfaction de cette ressource.

La plupart de nos hommes sont menacés et torturés lorsqu’ils atteignent la haute mer, certains y laissent leurs vies, tandis que d’autres reviennent avec des blessures sur le corps, nous avons de bonnes variétés poissons dans nos eaux qui font vivre plus de quarante communautés de pêcheurs“.

Hon. Atobajeun ajoute que les lois existantes sur la pêche ne sont pas correctement mises en œuvre et révèle que les pêcheurs locaux font campagne pour la mise en oeuvre des Directives volontaires pour assurer une pêche artisanale durable et garantir une bonne gestion des ressources. Le président de l’association des pêcheurs de la région d’Akodo, Alhaji Ajaiyi Nosiru, déclare qu’il est pêcheur à Lagos depuis plus de trente-huit ans et que les ressources de pêche n’ont jamais été aussi appauvries dans l’État.

Les temps sont durs pour nous les pêcheurs locaux, un grand nombre de nos petites pirogues sont endommagées et ne peuvent pas aller en haute mer, la réparation de nos filets de pêche coûte plus de cent mille nairas [260 dollars américains, ndlt]”, a déclaré Alhaji Nosiru.

Les défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui sont la migration des pêcheurs locaux qui quittent leur famille pendant des jours et vont à la recherche du poisson dans d’autres communautés et dans l’État, ce qui a entraîné la rareté et l’extinction de certaines espèces de poissons dans les eaux de Lagos“.

Mme Jumoke Shittu, mareyeuse et femme leader de la communauté de pêcheurs, déclare qu’elles ne peuvent pas se permettre un bon repas pour leur famille depuis le confinement et que leurs maris ne peuvent plus aller en mer. Elle ajoute aussi que le peu de prises que les pêcheurs ont réussi à capturer ne peuvent même pas atteindre le marché principal à cause du mauvais état des routes.

Mme Shittu a noté que certains des hommes qui partent en mer risquent leur vie mais ils le font tout de même pour éviter que leur famille ne souffre de la faim, rendant ainsi certaines femmes cheffes des familles.

La souffrance est grande pour nous en tant que femmes, nous faisons en sorte d’obtenir un prêt de la coopérative pour soutenir notre entreprise et nos maris sont toujours en déplacement pendant de longues périodes, certains même ne reviennent jamais“, a déclaré Mme Shittu. Pour sa part, Mme Bunmi Kehinde a déclaré que leurs maris récoltent actuellement davantage d’écrevisses et de crabes en raison de la rareté du poisson en mer.

Le défi majeur auquel nous sommes confrontés aujourd’hui est que nous ne pêchons plus que des écrevisses et que peu de poissons sont capturés par les hommes, nous les fumons dans un environnement très malsain avec nos fours locaux, rien ne fonctionne bien ici car les poissons migrent vers des zones plus favorables en raison des gros tuyaux et des machines de dragage dans l’eau,” a noté Kehinde. Un jeune de la communauté, M. Samson John, déclare que depuis plus de deux ans, les activités de pêche ont été gravement affectées, entraînant même la mort de certains pêcheurs. “Le gouvernement devrait aider les pêcheurs locaux avec au moins cinq grandes pirogues résistantes à aller loin en haute mer, la plupart de leurs enfants ne sont pas scolarisés car beaucoup ne peuvent pas payer les frais de scolarité et certains souffrent de malnutrition“, a ajouté M. Samson.

Emmanuel Babatunde, expert en conservation des ressources halieutiques, a fait remarquer que le gouvernement doit accorder plus d’attention à la conservation pour aider à réduire la migration des poissons et des pêcheurs qui exercent des activités de pêche sur les lagunes de Lagos.

Les communautés de pêcheurs de l’État sont en voie d’extinction progressive, car elles sont chassées par l’urbanisation et le nouveau plan d’aménagement de Lagos“.

Le Dr. Babatunde a déclaré que quand l’habitat des poissons est occupé, ils migrent en parcourant de longues distances, se déplaçant d’un endroit à l’autre à la recherche de nourriture et d’un lieu de reproduction propice.

Ce mouvement éloigne également les pêcheurs locaux de leurs communautés de pêche en vue de faire de bonnes prises et de poursuivre leurs activités“.

La présidente du Forum des Armateurs, l’avocate Margaret Onyema-Orakwusi déclare que les activités des pêcheurs migrants dans les eaux nigérianes ont un grand impact sur les activités de pêche à Lagos.

Elle souligne la nécessité d’une coopération régionale pour lutter contre la menace de la pêche illicite, car il est inacceptable que des étrangers envahissent les eaux nigérianes et pêchent en toute impunité.

Ces braconniers viennent dans les eaux nigérianes, volent nos poissons, au nom de la pêche et les vendent à la communauté internationale sans respecter les règles et la réglementation des activités de pêche en vigueur dans le monde“, a déclaré Margaret Onyema-Orakwusi.

Elle a appelé l’Union européenne et les Nations unies à venir en aide aux pêcheurs locaux en Afrique en veillant à ce que les activités des pêcheurs illégaux soient contrôlées.

Shakirudeen Onasanya, secrétaire permanent du Ministère de l’Agriculture de l’État de Lagos, a déclaré que le Ministère avait mis en œuvre des programmes et des projets visant à augmenter la production de poisson et à exploiter les énormes opportunités économiques disponibles dans les chaînes de valeur du poisson de l’État.

Tout en reconnaissant qu’il reste beaucoup à faire si l’on veut atteindre l’objectif visant à l’autonomisation de l’État en matière de production halieutique, le secrétaire permanent a appelé à des efforts de collaboration entre le secteur privé et le gouvernement dans le développement de la chaîne de valeur Agricole, tout en gardant à l’esprit la lourdeur qui se cache la responsabilité de la production alimentaire pour les citoyens de l’État de Lagos.

La production de cet article a été réalisé grâce à l’appui du REJOPRA, le Réseau des journalistes pour une pêche responsable et durable en Afrique.

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