Kenya : L’accaparement des terres compromet les moyens de subsistance des pêcheurs à Mombassa

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Hajj Ramadhan Omar, 49 ans, ne peut s’empêcher de se remémorer ses anciens jours de pêche.Dans le bon vieux temps, Omar, qui a appris à pêcher avec son canoë en bois hérité de son grand-père décédé, dit qu’il pouvait attraper jusqu’à 50 kilos de crevettes, ce qui contraste fortement avec les trois kilos qu’il a attrapés le jour où il s’est confié à Baraka FM.

Par Janet Murikira

Omar, qui fait partie de l’unité de gestion de la plage Tudor-Shimanzi (BMU) dans le comté de Mombasa, a connu des difficultés après que des promoteurs privés aient acquis des titres de propriété controversés pour les terres de la région de Kibarani et aient entrepris de récupérer les terres de l’océan.

«Le processus de récupération a commencé en 2013 et ils n’ont pas récupéré n’importe où, ils ont récupéré des zones où les crevettes et les homards se reproduisent», explique Omar.

Et comme si cela ne suffisait pas, les pêcheurs avaient dû auparavant lutté contre l’appropriation d’une partie du site de débarquement de poisson par un promoteur privé.

Dans le sous-comté voisin de Kisauni, Kazungu Shughuli, âgé de 59 ans, regarde fixement une structure qui l’abritait autrefois, lui et ses collègues pêcheurs, contre le soleil brûlant après leurs expéditions de pêche et à chaque fois qu’ils tenaient leurs réunions de BMU. La structure temporaire a depuis cédé, obligeant Kazungu et ses collègues pêcheurs de l’unité de gestion de la plage de Kidongo à peser et vendre leurs prises depuis leurs propriétés.

Selon Kazungu, leurs malheurs ont commencé après que trois propriétaires privés aient commencé à revendiquer la propriété de leur site de débarquement du triangle de Mwakusea et que le service pénitencier du Kenya ait construit un mur leur bloquant l’accès à leur site du Old Ferry, les poussant à opérer depuis celui de Kidongo.

Bien que leur site qui s’étend sur 10 kilomètres soit l’un des rares à être publié au journal officiel par la Commission nationale des terres, ils n’avaient pas encore reçu de titre de propriété pour revendiquer la propriété de la terre.

«Un donateur avait proposé de nous aider à construire un bureau permanent avec un entrepôt frigorifique pour nous aider à préserver nos prises pendant la haute saison. Cependant, lorsque nous n’avons pas produit de titre de propriété, le donateur nous a dit qu’il était inutile de construire une structure permanente sur un terrain dont nous ne possédions pas les titres de propriété », explique M. Kazungu.

Omar et Kazungu font partie des 3000 pêcheurs qui ont été victimes des problèmes incessants de propriété foncière à Mombasa, qui, selon les activistes, ont entravé la productivité de l’industrie de la pêche maritime dans le pays.

Un rapport datant de 2015 et intitulé Nowhere to land publié par Haki Yetu, une organisation des droits de l’homme basée à Mombassa, a déclaré que les pêcheurs du comté ne peuvent accéder qu’à moins de 40% de leurs débarcadères après que le reste ait été saisi par des agences gouvernementales et des promoteurs privés qui incluent des hôtels de luxe sur la plage.

Le rapport a fait valoir que les voleurs de terres ont exploité le fait qu’avant 2018, seuls 14 débarcadères sur les 50 que compte le comté ont été publiés au journal officiel et qu’aucun n’a fait l’objet d’un titre de propriété.

« Cela a donc entraîné l’appropriation de plusieurs débarcadères de poissons par des industries, des organismes parapublics du gouvernement, des hôteliers et des opportunistes avides qui ont empiété sur ces sites et en ont expulsé les pauvres pêcheurs », indique le rapport.

Les pêcheurs ont poussé un soupir de soulagement après que le président Uhuru Kenyatta ait ordonné aux agences gouvernementales de reprendre possession des sites et de délivrer des titres de propriété pour ceux qui ont été saisis à l’horizon d’avril 2019.

300 millions de shillings ont été débloqués pour faciliter l’opération en 2019, les responsables gouvernementaux ayant déclaré que 500 millions de shillings seraient débloqués pour la même cause en 2020.

Alors que les pêcheurs s’attendaient à ce qu’au moins la moitié des débarcadères soient récupérés, seuls cinq sur les quatorze sites annoncés ont été cartographiés dans le comté.

Micheni Ntiba, secrétaire d’État en charge de la pêche au ministère de l’agriculture, pense qu’il aurait été coûteux de cartographier tous les débarcadères.

« S’occuper de tous les débarcadères au Kenya est coûteux.  Nous en sommes à la dernière étape de leur récupération. Depuis que la directive d’Uhuru a été émise, nous avons travaillé jour et nuit », a déclaré M. Ntiba.

Les cinq sites qui ont été identifiés et cartographiés comprennent Tudor, Timbwani, Old Port, Mshomoroni et Kitanga Juu.

Selon le rapport de Haki Yetu, seuls les débarcadères de Timbwani, Tudor et Mishomoroni étaient entre les mains des grappins, tandis qu’Old Town et Kitanga Juu étaient encore accessibles aux pêcheurs bien qu’ils ne possèdent pas les titres de propriété.

Cependant, cette situation a suscité l’opposition des pêcheurs et des groupes de défense des droits, qui affirment que le fait de ne cartographier que cinq des quatorze débarcadères publiés au journal officiel pour obtenir les documents fonciers requis revient à encourager l’accaparement des terres publiques.

En 2019, les pêcheurs ont écrit au ministère de l’agriculture pour demander la révocation de l’exercice de cartographie.

« Que vous révoquiez la décision de ne cartographier que cinq débarcadères et que vous demandiez à la Commission nationale des terres d’accélérer la récupération, l’arpentage et la délivrance de titres de propriété pour tous les débarcadères du comté de Mombasa. Le processus devrait être mené de manière transparente avec la participation des pêcheurs et des unités de gestion des plages pour les sites respectifs », ont écrit les pêcheurs.

Toutefois, l’exercice n’a pas été annulé, mais a été étendu aux comtés voisins tels que Lamu, Kwale et Kilifi.

Selon un rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), bien que les sources d’eau marine représentent 89 % des masses d’eau kenyanes, le secteur produit moins de 5 % du poisson au Kenya.

Pour Furaha Kyalo, responsable de programme chez Haki Yetu, l’accaparement des débarcadères de poissons contribue négativement à la productivité de l’industrie de la pêche marine.

« Si les pêcheurs dépendent d’un certain débarcadère pour leur subsistance, s’emparer de ce site  revient à leur enlever leur gagne-pain, ce qui signifie que ces personnes ne peuvent pas subvenir aux besoins de leur famille et assurer la production de l’industrie de la pêche », a déclaré Furaha.

En 2018, le Kenya a accueilli la première conférence mondiale sur l’économie bleue et à cette occasion le gouvernement s’était engagé à « accélérer le développement des industries de la pêche marine et continentale en augmentant les capacités d’aquaculture, de transformation et de stockage du poisson et les industries connexes de l’économie bleue ».

Mais pour des pêcheurs comme Omar et Kazungu, ces engagements ne resteront que de simples promesses si la question de l’accaparement des débarcadères n’est pas traitée de manière adéquate.

« Si les pêcheurs ne peuvent pas accéder à la plage pour mener leur activité de pêche ou aux débarcadères dont ils peuvent revendiquer la propriété pour construire des installations telles que des chambres froides, il leur sera difficile d’améliorer leurs prises », a déclaré Kazungu.

Cette histoire a été écrite avec le soutien du REJOPRA, le Réseau des journalistes pour une pêche responsable en Afrique

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