La cogestion, dernière chance de survie pour la filière crevette au Sénégal

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Au Sénégal, le département de Foundiougne est une des places fortes de la production de crevette. Près de 300 tonnes y sont débarquées chaque année, soit 77% des mises à terre totale selon le poste de contrôle des pêches de Foundiougne. L’activité concerne près de 700 pêcheurs de Foundiougne et de 20 villages environnants, mais aussi de la sous-région. Ce qui a fini par provoquer une forte pression sur la ressource. Depuis 2007, un repos biologique de deux mois (juillet-Aout) par an, y est institué pour protéger la petite crevette victime de surpêche. Un arrêté préfectoral sur demande des pêcheurs interdit pendant cette période la pêche à la crevette. Ils se chargent ensuite de faire respecter la mesure. Une amende de 50.000FCFA a été instaurée par le comité local de pêche artisanale pour d’éventuels récalcitrants.  Afin d’accompagner les pêcheurs pendant cette période, des vivres de soudure leur sont distribuées. Des aliments achetés grâce aux bénéfices générés par la quincaillerie maritime communautaire.

Le ferry accoste après une dizaine de minutes de traversée du fleuve qui sépare la capitale régionale Fatick au département de Foundiougne (178 Km de Dakar). Petit à petit il se vide de sa cargaison hétéroclite composée de passagers et de véhicules.

Sur le quai, les vendeurs à la sauvette abordent les voyageurs avec divers articles. Mais notre attention est retenue par les sachets de crevettes vendus à 500 FCFA ou 1000 FCFA l’unité.  Des fruits de mer séchés issus du travail des femmes de Foundiougne. Elles sont réunies au sein d’un groupement des femmes transformatrices dirigé par Madame Seynabou Diouf. Elle explique le processus de transformation de la crevette. « On achète de la crevette fraiche que nous nettoyons bien et faisons bouillir. Après le tri, nous séchons les crevettes dans un endroit bien aéré pendant plusieurs jours » déclare la dame parmi les pionnières dans la transformation et la vente de crevettes. 

« On achète de la crevette fraiche que nous nettoyons bien et faisons bouillir. Après le tri, nous séchons les crevettes dans un endroit bien aéré pendant plusieurs jours »

La pêche à la crevette est une activité très prisée à Foundiougne où près de 300 tonnes sont débarquées chaque année. Elle se déroule la nuit avec une technique particulière qui n’a plus de secret pour Amath Faye, la quarantaine, pêcheur depuis plus de 20 ans. Il explique : « Il faut être à deux pour pêcher la crevette que vous piégez avec un long filet et ensuite on met toutes les crevettes dans une caisse. Pour une nuit de pêche tu peux débarquer plus de 100 Kg de crevette ».

L’engin principal utilisé à Foudiougne par la plupart des pêcheurs pour capturer la crevette est appelé « kili ». C’est un filet drainant à pied que tirent deux pêcheurs au niveau des rives pas profondes.

La pêche à la crevette à Foundiougne concerne environ 400 autochtones et un peu plus de 100 pêcheurs venus de tout le pays. Une activité très lucrative selon Joseph Sarr, président du Comité Local de Pêche artisanale. Un organe composé de pêcheurs locaux et chargé de faire appliquer les règles de cogestion établies par les autorités administratives. IL nous apprend que pendant la saison crevettière tous les percheurs s’adonnent à cette activité qui bénéficie à presque toutes les familles de Foundiougne. 

Selon les statistiques du service régional des pêches de Fatick, l’activité intéresse aussi plus 700 pêcheurs étrangers dont la plupart viennent de la sous-région Ouest africaine. Un engouement qui s’explique selon le pêcheur Ousmane Ndiaye par le fait que c’est une activité lucrative et moins pénible. Ce que confirme ce pêcheur dont la pirogue accoste avec une dizaine de caisse de crevettes qui sont vendus à 550 Fcfa le Kilogramme. Il y a aussi le fait que l’activité ne nécessite pas beaucoup d’investissements. Au bas mot, un montant de 20.000 Fcfa pour l’achat de filets, les deux perches, le cordage, une lampe torche, une bassine ou bas suffit pour s’y lancer. Le pécheur n’a pas besoin d’une pirogue avec moteur sauf certains qui ont besoin d’aller dans des zones lointaines.

Une grande partie de cette crevette est transformée par des dames et vendue à l’intérieur du pays et même exportée en grande quantité vers les pays européens, notamment la France. Chaque année, la crevette génère un énorme profit estimé entre 9 et 10 milliards de Fcfa à l’exportation selon Lamine Mbaye coordonnateur du projet Aménagement durable des Pêcheries du Sénégal  par la crevette a fini par causer une forte pression sur la ressource. Foundiougne partage sa crevette avec une vingtaine de villages environnants. Pour préserver cette ressource halieutique, le Programme de gestion des ressources marines et côtières (GIRMAC) est intervenu pendant cinq ans dans le département. Son facilitateur Jean Bienvenue Henri Séne nous explique que Foundiougne fait partie des quatre sites de pêche où on expérimente la cogestion au Sénégal. Une stratégie qu’il définit comme un partage des responsabilités de gestion entre l’Etat et les acteurs locaux. C’est dans ce cadre que des initiatives locales de cogestion ont été identifiées par des acteurs associés à vingt villages. Elle porte essentiellement sur la réglementation du maillage des filets de crevettes qui ont tous été remplacés avec mille neuf cent nouveaux filets, et l’observation du repos biologique. 

Nous avons constaté que la crevette devenait de plus en plus rare mais avec le repos biologique elle est devenue plus abondante et de qualité.

Laisser la crevette au repos pour préserver l’espèce et l’activité

Le repos biologique, une période d’un mois finalement élargie à deux mois par les acteurs qui disent avoir constaté une inefficacité. Période  pendant lequelle un arrêté préfectoral interdit la pêche à la crevette. C’est sur demande des pêcheurs selon Joseph Sarr président du Comité Local de Pêche Artisanale (CLPA) qui ajoute que Foundiounge applique le repos biologique depuis 2007. Monsieur Sarr de poursuivre : « Nous avons constaté que la crevette devenait de plus en plus rare mais avec le repos biologique elle est devenue plus abondante et de qualité. On a fait plusieurs réunions dans les villages pour avoir un consensus et appliquer le repos biologique pendant un mois chaque année ».

Sur le quai de pêche clairsemé en milieu de matinée, Alpha Dieng somnole sous un abri de fortune. Ce pêcheur dit attendre la marée basse pour retourner en mer. Il nous apprend qu’en période de repos biologique, ses revenus baissent, mais pour lui c’est un mal nécessaire. Il estime que cette mesure arrange les pêcheurs parce que si la mer ne se repose pas et que tous petites crevettes sont attrapés ils n’auront plus de quoi pêcher.

Une amende de 50.000 FCFA a été fixée pour toute infraction. Pour décourager d’éventuels récalcitrants, des équipes de surveillance ont été mises en place. Il y a une surveillance à terre dans les points d’embarquement, de débarquement et de commercialisation. En mer le (CLPA)  dispose d’une barque qui patrouille jour et nuit pour dissuader les récalcitrants.

Pour mieux faire respecter le repos biologique, le Programme de gestion des ressources marines et côtières a fait des investissements sociaux. Une quincaillerie maritime a été construite à Foundiougne. Les bénéfices générés par ce commerce servent à acheter des vivres de soudures. Des aliments gratuitement distribués aux pêcheurs pendant la période de repos biologique pour compenser la perte de revenu. Le défi est de pérenniser les acquis de cette initiative communautaire à la fin du projet et préserver la crevette qui est une ressource précieuse pour les habitants de Foundiougne.  Selon Mamadou Wade, chef de service départemental des pêches de Foundiougne, « il faut assurer un contrôle régulier du littoral pour faire respecter la réglementation en vigueur ». Car, souligne-t-il : « La pêche crevettière est pratiquée par campagne et démarre, chaque année, le 1er Septembre ssaprès que sur arrêté du Gouverneur de région, le repos biologique est instauré tout au long des mois de juillet et Aout sur toute l’étendue du territoire de la région de Fatick ». Il ajoute que « c’est à l’issu de cela que la pêche reprend ses droits ». Et en cette période, la pêche crevettière qui bat son plein a favorisé le déploiement de plusieurs catégories d’acteurs dans les différentes zones de pêche de Foundiougne.

La concurrence déloyale des bateaux étrangers

Il y a très peu de pêcheurs de crevettes de Foundiougne qui vont en haute mer. C’est donc rare d’enregistrer des altercations avec des navires étrangers, mais l’impact de leur présence dans les eaux sénégalaises se fait sentir dans les captures des pêcheurs artisanaux. « Ils utilisent des engins très sophistiqués qui ne laisse presque rien après leur passage. Certains s’aventurent vers les côtes et provoquent souvent des accidents, notamment avec les petites embarcations artisanales de pêche » déplore Fallou Pêcheur saisonnier qui vient de la Gambie voisine.  

En effet,Cinquante-quatre demandes d’attribution de licences de pêche industrielle pour des bateaux étrangers sont actuellement sur la table du Ministre de la pêche et de l’économie maritime du Sénégal.La plupart de ces navires d’origine chinoise sont intéressés par les petits pélagiques, la pêche au merlu et à la crevette.

La pêche industrielle crevettière est effectuée par des chalutiers avec une longueur autour de 20 à 25 mètres, un équipage de l’ordre de dix personnes et effectuant une marée de l’ordre de vingt-cinq jours.  Selon des chiffres officiels en 2000, quelques 80 chalutiers avaient pris la licence « crevette côtière »  produisant des redevances de l’ordre de 400 millions de FCFA. Mais depuis 2008 le nombre de chalutier étranger ciblant la crevette côtière sur les côtes sénégalaise tournes de 25 unités et les redevances sont de l’ordre de 200 millions de FCFA par an (192 millions de FCFA pour 24 licences).

Cette arrivée massive des navires étrangers est constamment dénoncée par les pêcheurs artisanaux qui y voient une menace pour la pérennité de leurs activités. C’est donc une bataille sans fin menée par les organisations regroupant les acteurs de pêche artisanale. En face, le gouvernement semble maintenir sa position puisque dans une de ses sorties Aliou Ndoye, ministre de la pêche et de l’économie maritime a déclaré que les eaux sénégalaises ont suffisamment de ressources que seuls les navires artisanaux ne peuvent pas les épuiser.  

Youssouph Bodian 

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