Mauritanie : La pêche artisanale au poulpe ou l’épopée du développement

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« Je m’appelle Sid’Ahmed Abeid, et je suis pêcheur depuis plus de 35 ans. En ce temps-là, la pêche artisanale, c’étaient les communautés de pêche traditionnelle Imraguen, qui pêchent le mulet, et les pêcheurs ouolofs mauritaniens de la région de Ndiago. Mais l’activité qui s’est développé à cette époque, c’est la pêche au poulpe. Je peux vous en parler, car je suis un des premiers pêcheurs qui s’est lancé, en 1978, à la pêche au poulpe.

A l’époque, je me souviens, nous n’étions que 17 embarcations artisanales. Nous pêchions un peu de poisson à écailles, aussi du chien de mer, -qu’on appelle chez nous le tollo -, mais nous ne vendions nos produits que 7 ouguyas (2 centimes d’euros), le kilo. Des gens de la coopération japonaise sont venus me voir et m’ont dit que c’était possible de capturer du poulpe avec des pots, que cela donnait un produit de très haute qualité qu’on pourrait leur vendre à un très bon prix. Alors, je me suis lancé. J’ai expérimenté toutes sortes de matériaux pour faire mes pots: du ciment, du PVC, des boîtes de conserves, mais ce n’était jamais idéal: les pots se cassaient, étaient trop fragiles ou trop lourds.

Un jour, je suis allé à Las Palmas, et j’ai trouvé que les espagnols vendaient de l’eau dans des bouteilles de 5l, qui étaient juste à la bonne taille pour mes pots. Je suis allé voir l’usine de bouteilles et je leur ai acheté 4000 bouteilles, qu’ils ont bien voulu adapter pour faire mes pots, et j’ai tout envoyé en Mauritanie. Le résultat a été excellent. Et comme cela arrivait juste après la grande sécheresse de 1973, beaucoup de mauritaniens qui avaient migré vers la côte, se sont mis à pêcher le poulpe avec des pots, comme moi. Quelques années plus tard, en 1984, à la création de la SMCP, – la société mauritanienne pour la commercialisation des produits de la pêche-, nous avons été les premiers à lui livrer nos produits!

Aujourd’hui, nous sommes 35.000 pêcheurs artisans et nous utilisons 7.500 embarcations artisanales. Pour ce qui est de la pêche de poulpe, nous assurons 60% de la production nationale en quantité et 70% en valeur. Nous fournissons 90% de l’emploi dans le secteur, avec des gens qui travaillent dans 50 usines de traitement de congélation des produits, dans 12 ateliers de fabrication de pirogues, et dans des centaines de magasins de vente de matériel, des milliers de mareyeurs, de transporteurs, de fabricants de pots, etc. Dans la pêche artisanale, la valeur ajoutée est de 8 fois supérieure à la valeur ajoutée dans la pêche industrielle.

Je dois vous dire aussi que la pêche au pot est une pêche sélective : nous prenons à la main le poulpe qui se cache au fond du pot, et s’il est trop petit, nous le remettons vivant dans la mer. De toute façon, pour nous qui ne ciblons que la première qualité, ces poulpes juvéniles ne sont pas intéressants. Ces dernières années, certaines mesures ont été prises pour aller vers plus de durabilité : nous avons 4 mois d’arrêt biologique par an. Un poids minimum de 500 grammes éviscéré a été mis en place pour les captures de poulpe, etc.

Ce que je vous raconte, c’est ce que j’appelle un développement environnemental, social et économique durable. Et, pour cette raison, nous voulons que l’accès à la ressource de poulpe nous soit exclusivement réservé »

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