Burkina Faso : La pêche artisanale, une pourvoyeuse d’emplois peu « valorisée »

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La pêche artisanale joue un rôle non négligeable dans le développement socio-économique du Burkina Faso. Sur les barrages de Bagré et Loumbila, des dizaines de jeunes ruraux vivent de cette activité. Mais en dépit des retombées économiques, les acteurs du secteur exercent, dans des conditions difficiles, un métier “peu valorisé”. Témoignages !

Par Mahamadi Sebogo

Il est 8 heures 15 minutes à l’embarcadère de Goyinga du barrage de Bagré, situé à 240 de km de Ouagadougou, dans la région du Centre-Est. En cette matinée de mai, le soleil annonce une journée caniculaire. Après avoir déjoué les pièges des labyrinthes pendant une quarantaine de minutes, nous atteignons les rives du barrage à Goyinga, un des villages environnants. Au même moment, un pêcheur à bord d’une pirogue artisanale faite de planches en bois, fend les eaux et se dirige vers l’embarcadère.

Souleymane Bandaogo, la trentaine bien sonnée, est polygame et père de 4 enfants. Il revient du large des eaux où il s’est rendu depuis 4 heures du matin pour enlever les poissons pris dans ses filets de pêche placés la veille. Dans les compartiments de sa pirogue de fortune, on trouve une pagaie, du poisson, son filet empilé, des pierres blanches. Sa moisson ne semble pas être celle des grands jours. Sa prise matinale, constituée de carpes et de silures, est d’environ 6 kg. Comme lui, une dizaine de pêcheurs, eux aussi de retour du voyage matinal pour la chasse aux poissons, à bord de pirogues de même acabit.

Sortis des eaux, M. Bandaogo et ses collègues abandonnent leurs engins de pêche aux abords du barrage et se dirigent vers un arbre situé à environ 100 mètres de la rive. Cet endroit leur sert de lieu de repos, voire de dortoir. « Nous dormons ici ; en cas de pluie, nous utilisons des bâches pour nous protéger », lance une voix dans le groupe. Sur ce lieu de ″résidence″ des pêcheurs, on trouve pêle-mêle, à même le sol ou accrochés, des filets, des sacs par-ci, des nattes, des marmites, des plats par-là ; des pantalons, des chemises et autres vêtements. Le décor, à lui seul, qui témoigne de la vie humaine sur les lieux.

« Je nourris ma famille grâce à la pêche »

Après s’être parés d’autres habits, les ″marins″ sahéliens prennent la direction du centre de pesage du poisson, à quelques centaines de mètres, où les attendent des mareyeurs venus de Bagré centre et des localités environnantes. Une maisonnette, munie d’une terrasse et d’un hangar en tôles, tient lieu de ″centre commercial″ de poissons. L’ambiance et les ingrédients d’un petit marché y règnent. D’un côté, pêcheurs et mareyeurs devisent par petits groupe de deux, trois, quatre. De l’autre, les femmes pèsent le poisson à l’aide d’une balance, sous le regard du propriétaire de la prise. Non loin, sous un karité ombragé, des jeunes filles gèrent leurs petits commerces de mangues, d’arachide, de jus, d’eau en sachets, etc.

Pêcheur depuis une quinzaine d’années au barrage de Bagré, Souleymane Bandaogo vit essentiellement de son activité.

Monsieur Bandaogo baigne dans cet univers depuis une quinzaine d’années. «Je cultive, mais la pêche constitue ma principale activité. Je nourris, soigne ma famille grâce aux revenus de la pêche », confie-t-il. Le métier de pêcheur, il le tient de ses parents qui l’exerçaient sur les eaux du fleuve Nakanbé depuis plus de cinquante ans. Par jour, les captures du jeune pêcheur sur ce plan d’eau varient entre 5 et 20 kg. Son poisson est vendu aux mareyeurs à 750F ou 1000F CFA le kg, selon la taille et la nature des poissons.

Tout comme Souleymane Bandaogo, Moustapha Diabo, exerce également dans la pêche depuis une quinzaine d’années. En rupture de ban avec l’école, en classe de CE2 (cours élémentaire 2e année), M. Diabo a passé le reste de son enfance dans les eaux de Bagré auprès de ses frères ainés, pour apprendre à pêcher. Aujourd’hui, à 29 ans, ce métier lui procure l’essentiel de ses revenus, estimés entre 2 000 et 12 000 F CFA par jour. « Il est difficile de vivre au village sans source de revenus. Mais grâce à la pêche, j’arrive à m’occuper de ma femme et mes deux enfants, sans l’aide de quelqu’un », affirme-t-il. A Bagré comme au barrage de Loumbila, situé à une vingtaine de km de Ouagadougou, des dizaines de jeunes ruraux font de la pêche leur gagne-pain.

5 000F à 50 000 F de recettes journalières

Lassané Ouédraogo, marié et père de 4 enfants tire l’essentiel des moyens de subsistance de sa famille sur ce plan d’eau. Trois fois par jour, sur sa pirogue artisanale en bois et muni de ses filets de pêche, M. Ouédraogo brave les eaux pour se livrer à la ″chasse″ aux poissons, et ce lorsque les eaux sont bien poissonneuses. « Nous rentrons dans le barrage à 6 heures du matin pour sortir vers 8 heures. Ensuite, nous y retournons à 10 heures et ressortir vers 12 heures. Enfin, nous pêchons de 14 heures à 16 heures », rapporte-t-il. Il confie que la vente de ses prises journalières varie entre 5 000 et 50 000F CFA. En 2019, les retombés de son activité lui ont permis de s’acheter deux moutons et une moto d’occasion à 200 000F CFA.

Monsieur Ouédraogo n’est pas le seul à tirer profit des ressources halieutiques du barrage. Le groupement des pêcheurs de Loumbila compte 37 membres, parmi lesquels trente jeunes. « Sur ce barrage, il y a plus de 80 pêcheurs mais tous ne sont pas membres de notre groupement », précise le président de la structure, Mady Ilboudo, qui comptabilise 40 ans dans la pêche. Pour lui, avec cette activité, ils gagnent gros. « Ce que la pêche nous rapporte est énorme. Seul Dieu peut évaluer ce que nous tirons comme revenus des produits de la pêche », s’enthousiasme-t-il.

Autour de la pêche, se sont développées des activités connexes, génératrices de revenus pour les femmes rurales. Zaliatou Saré vend du poisson frit dans le village V8-rive droite. Chaque matin, elle parcourt les 7 km qui séparent sa bourgade du marché de poissons frais de Goyinga. En fonction de la disponibilité du poisson, elle y achète entre 5 et 15 kg par jour. Ce vendredi 8 mai, elle est présente à Goyinga, assise sur sa moto, grosse cylindrée, son enfant au dos. Avec un bidon jaune de 30 litres ouvert sur un côté, attaché à l’arrière de son engin, en guise de caisse à poissons, elle attend les prises de son ″pêcheur″. Par jour, elle réalise un bénéfice moyen de 1500F ; ce qui lui permet d’assurer ses charges quotidiennes. « Avec cet argent, je prends soin de mon enfant et couvre mes besoins de femme », témoigne-t-elle, toute souriante.

Un moyen de lutte contre le chômage

A en croire les acteurs, la pêche contribue à améliorer leurs conditions de vie. Selon l’ingénieur halieutique, Philippe Sawadogo, par ailleurs directeur de la pêche au ministère de Ressources animales et halieutiques (MRAH), cette activité joue un rôle non négligeable dans l’économie nationale. Avec une part au PIB estimée à 0,41% en 2009, elle contribue à la sécurité alimentaire, à la lutte contre la pauvreté, à la création d’emplois. Pour le directeur régional des ressources animales et halieutiques du Plateau central, Hamadé Ouédraogo, la pêche peut contribuer à résorber le problème de chômage de la jeunesse rurale, pour peu qu’une attention particulière soit accordée au secteur. Il en veut pour preuve, les 3 033 pêcheurs de la région, dont une centaine à Loumbila, qui « vivent plus ou moins de cette activité ».

Cette place de la pêche dans l’économie, les pêcheurs en sont conscients, bien que leur métier n’ait toujours pas la considération qu’elle mérite. A propos, à peine sorti des eaux, Moustapha Diabo, nous livre une sorte de cours magistral de macro-économie. « Nous faisons un métier qui n’est pas valorisé. Mais nous savons que nos petites productions journalières sont prises en compte dans la comptabilité nationale, dans la production nationale, puisque tous les jours, des gens viennent nous demander combien de kg de poissons nous gagnons par jour ; combien cela nous rapporte. Nous savons que ces chiffres sont exploités par le gouvernement », assène le jeune rural.

Selon lui et ses camarades, le potentiel halieutique du barrage de Bagré est énorme. Seulement, il leur manque des équipements de pêche appropriés. « Il y a du poisson dans le barrage. Notre problème est que nous ne disposons pas de matériel adéquat et de grand gabarit pour pêcher les gros poissons », s’alarme Souleymane Bandaogo, le regard accusateur. Ce qui pousse M. Bandaogo et ses collègues à faire souvent usage de filets de pêche non conformes à la règlementation. « Souvent, nous avons maille à partir avec les agents des eaux et forêts car ils trouvent que les mailles de nos filets ne sont pas règlementaires. Ces deux dernières années, ils nous fatiguent moins », témoigne le pêcheur Diabo.

Le risque d’ensablement du barrage inquiète la présidente des transformatrices de poisson de Bagré, Asseta Daboné

La législation sur la pêche interdit l’utilisation de filets dont le côté de la maille est inférieur à 35 millimètres. L’objectif est d’assurer la reproduction de la ressource, en empêchant que les petits poissons et les alevins soient dans les captures, explique M. Sawadogo. Pour ce faire, les pêcheurs appellent le gouvernement à les aider à acquérir des engins de pêche de qualité et aux normes. Les pirogues, les palangres, les filets éperviers, les nasses, les filet maillants sont les équipements utilisés dans la pêche artisanale.

Une ressource menacée

Asseta Daboné est la présidente des transformatrices de poisson de Bagré. En sus du manque d’équipements de conservation du poisson frais pour la transformation, elle s’inquiète de l’ensablement des eaux du barrage qui menace la ressource. « Il est interdit de cultiver sur les berges du barrage. Mais tout le monde ne respecte pas cette interdiction. A cette allure, l’eau va se réduire, et partant le poisson et nos capacités de production », prévient-t-elle.

A Loumbila, à l’ensablement se greffent d’autres préoccupations préjudiciables à la pérennité des ressources halieutiques. « Ici, la pêche se pratique de manière continue sur toute l’année. Cela ne permet pas aux poissons de se reproduire conséquemment », déplore le président du groupement des pêcheurs de Loumbila. Aussi, certains battent-ils les eaux avec des bâtons, pour déloger de force les poissons et les diriger vers leurs filets. Tout cela, dénonce-t-il, menace la survie de l’espèce.

Le développement de ces pratiques illégales, y compris le maraîchage sur le lit du barrage, selon M. Ilboudo, est imputable aux services de l’environnement qui ne feraient pas correctement leur boulot de contrôle du respect de la règlementation. « Entre nous ici, nous essayons de sensibiliser mais ce n’est toujours pas évident.  Comme vous le savez, le management des jeunes d’aujourd’hui n’est pas chose aisée », lance le sexagénaire.

Le directeur des ressources animales et halieutiques du Plateau Central reconnait que les problèmes évoqués par les acteurs sont réels et connus. Cependant, l’insuffisance des ressources financières ne permet pas à son département d’intervenir efficacement sur le terrain, concède-t-il. Mais au-delà du nerf de la guerre, sur le plan administratif, la situation est beaucoup plus compliquée. « Nous gérons les ressources halieutiques, mais l’environnement dans lequel vit le poisson relève du ministère de l’eau. La répression est assurée par les eaux et forêts qui sont du département en charge de l’environnement, de l’économie verte et du changement climatique », rappelle-t-il, l’air impuissant face à cette faiblesse institutionnelle.

Cet article a été réalisé avec l’appui du REJOPRA, le Réseau des Journalistes pour une Pêche Responsable et durable en Afrique.

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