Tunisie : Les pêcheuses à pied à la merci des intermédiaires

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A Zarrat, une ville littorale du sud-est de la Tunisie située à une trentaine de kilomètres de Gabès, les femmes collectrices de la palourde sont à la merci d’intermédiaires qui leur imposent des prix bas. La palourde est un précieux coquillage essentiellement destiné à l’exportation, principalement vers l’Espagne et l’Italie.

Acheté aux femmes entre 3,5 (1,5 €), et 4,5 dinars (2 €), le kilo de palourde est vendu 10 à 15 fois plus cher en Europe et seulement tout au plus 48 heures après la pêche. Au début de cette activité dans les années 1970, le kilo était payé aux femmes trois à quatre fois plus, soit 12 dinars (5,4€).

Cette chute drastique du prix d’achat auprès des femmes est due essentiellement à la prolifération des intermédiaires. Selon Zaabi Mosbah le président du Groupement pour l’exploitation et le développement de la collecte de palourdes, ces « profiteurs » se sont multipliés après l’avènement de la révolution. « Avec la révolution, il y a eu un bouleversement de toute la filière. C’est dû à l’absence de contrôle essentiellement », confie-t-il.

Alors qu’en 2010 son groupement enregistrait 3000 à 4000 collectrices de palourde, aujourd’hui il n’en compte plus que 72. Découragées par la chute du prix d’achat, beaucoup de femmes collectrices de palourdes ont quitté le groupement, qui s’était révélé incapable de leur garantir des prix rémunérateurs.

La pêche de la palourde est une activité pratiquée essentiellement par des femmes rurales et vivant en situation précaire. Chaussées de bottes de caoutchouc, les femmes s’éparpillent sur plusieurs kilomètres de plage à marée basse. Chaque jour, entre 5h du matin et 3h de l’après-midi, sous un soleil de plomb, elles parcourent de longues distances le dos courbé, les jambes enfoncées dans le sable jusqu’au genoux.

Leurs seuls outils : un fer denté d’environ 20 cm de long localement appelé « El Menjel », et un petit fût en plastique dans lequel elles mettent les palourdes collectées. La technique de pêche de palourde consiste à repérer la palourde grâce aux deux petits trous dans le sable causés par les deux siphons de la palourde.

Les femmes enfoncent alors le fer denté et éjectent l’animal hors de son habitat. C’est un travail de fourmis, et seules les femmes les plus expérimentées peuvent pêcher deux à trois kilos de palourdes par jour et ainsi gagner entre 12 et 15 dinars (entre 5 et 7 €).

Démunies, ne bénéficiant d’aucune forme d’aide et ayant pour principal moyen d’existence la collecte et la vente de palourdes, les femmes font face à une série de contraintes qui accentuent leur vulnérabilité. L’une des principales contraintes est la fermeture périodique des zones de pêche aux palourdes pour des raisons sanitaires ou pour limiter l’exploitation de la ressource. La pêche aux palourdes est ouverte en moyenne seulement 70 jours dans l’année.

Pour la plupart analphabètes, les femmes pêcheuses de palourdes manquent aussi d’encadrement et de formation pour développer d’autres activités génératrices de revenus. Enfin, il y a la forte dépendance des femmes vis-à-vis d’intermédiaires souvent sans scrupules. « Les zones de pêche pour la palourde sont éloignées des zones d’habitats des femmes. Alors dans ces conditions le transport des femmes est assuré par l’intermédiaire lui-même. Si une femme refuse de lui vendre ses palourdes au prix qu’il offre, il refusera ensuite de la prendre dans son camion », explique Zaabi Mosbah.

Les femmes collectrices de palourdes n’ont aucune autre possibilité que de vendre leur produit à ces intermédiaires qui sont pour la plupart des représentants désignés de centres de purification et d’exportation situés à Sfax à plus de 200 km de Zarrat. Dans ces conditions, peu importe le prix qui leur est proposé, les femmes sont obligées de vendre.

Pour elles, c’est avant tout une question de survie. « Le jour où je travaille, je mange. Si je ne travaille pas je ne mange pas. C’est aussi simple que ça », confie Zeyna qui pratique la pêche de palourdes depuis 36 ans. « Je fais ce travail depuis tellement longtemps que je ne peux pas faire autre chose. Je le fais surtout pour mes enfants même si ceux qui ont fait des études ne trouvent pas non plus de travail. Ce que je souhaite, c’est que mes enfants trouvent du travail pour m’aider », ajoute-elle.

Frange déshéritée de la population tunisienne, les femmes collectrices de palourdes rêvent toutes de prix plus justes et équitables pour leur produit, qui leur permettraient d’avoir une vie plus digne.

Inoussa Maïga

@MaigaInou

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